mardi 2 novembre 2010

Espoir et Désespoir

Voilà un texte que j'ai écrit il y a peu, et qui apparaitra probablement dans le prochain Porantim, un journal sur l'actualité indigène, publié par le CIMI.


Espoir et Désespoir

Ce sont les deux mots qui expriment le mieux mes sentiments face à la découverte de la réalité indigène au Brésil. Avant d'arriver dans ce pays complexe, j'avais étudié un peu d'anthropologie, quelques mouvements indigènes ou proche du mouvement indigènes, comme le mouvement Zapatiste au Chiapas, les Mapuches au Chili, ou l'expérience de la CONAIE en Équateur... Naïve, je pensais qu'avec ces lectures et ces études, j'étais un peu mieux préparée pour cette expérience. Douce illusion de l'université...

Quand je suis entrée pour la première fois dans un village indien à Porto Alegre, j'ai du écarquillé les yeux de surprise. En montant le Morro do Osso (le morne/la colline de l'os), on voit défiler ses maisons, de deux ou trois étages, sa rue pavée, disparu en d'autres lieux par peur des barricades, ses jardins bien entretenus, et les piscines que l'on peut deviner derrière les villas...
Qui pourrait deviner ce qu'il y a au bout de la rue ? En réalité, un peu après la fin de la rue, quand celle-ci se transforme en terre battue. En quelques mètres, nous sommes dans un autres monde, dans un autre univers. Ici, il n'y a pas de piscine, ce fut difficile d'obtenir de l'eau potable. Ici, les enfants ne joue pas dans leur jardin, mais pied nus dans la poussière. La peau aussi est plus foncée que quelques mètres plus bas. Aux rues vides où chacun se protège derrière des barrières et des fils électriques, succède un endroit différent, un endroit nouveau pour moi, où toutes les maisons sont ouvertes, où les femmes prennent un maté devant les maisons en surveillant les enfants.

Les premières minutes, peut-être les premiers jours le visiteur se sent quelque peu mal-à-l'aise... Comment me perçoivent-ils, comment peuvent-ils me percevoir, si j'appartiens à l'autre monde, au monde des blancs, qui est aussi celui des oppresseurs, des latifundistes et de leurs hommes de main, le monde des conquistadores...
Mais rapidement, ils savent comment nous faire sentir à la maison. Un maté, un sourire, quelques jeux avec les enfants et quelques plaisanteries avec les femmes et ce sentiment de n'être pas à sa place s'en va !

Peu à peu, j'apprends cette réalité, je me confronte à elle en même temps que je me confronte à moi-même, à mes certitudes, à mes idées, à ma culture...

Souvent, la situation emplit le cœur d'un sentiment de désespoir profond. Parce qu'un génocide, en Europe, en Afrique ou en Amérique nous montre tous les jours comme l'homme est un loup pour l'homme, comme le racisme reste vivant comme au temps de Cabral et de Christophe Colomb, comme le monde continue à faire des tours et des tours s'en s'importer des peuples, des cultures et des langues qui s'éteignent peu à peu... Parce que dans beaucoup de pays, l'espoir de faire de l'argent continue à avoir plus de valeur que la promesse d'un monde multiculturel, où chaque peuple aurait la possibilité de s'autodéterminer, où les différentes cultures pourraient vivre ensemble, sans que l'une soit supérieur à toutes les autres. Parce que le capitalisme ne supporte qu'un modèle unique, auquel l'humanité entière doit se conformer, sans que n'aient d'importance les différences culturelles, sans que n'ait d'importance l'histoire et surtout sans que n'ai d'importance la justice. Un monde fait pour l'argent donc, pour l'accumulation de capital et pour le confort de quelques uns au prix de tous les autres...

Cela représente également un désespoir de voir la société et la culture de "l'abondance frugale" et du bien-vivre, être marginalisée dans son propre pays, sur ses propres terres. Souvent j'ai entendu que vivre simplement et dans la pauvreté faisait parti de la culture indigène.
Il fait sans doute parti de la culture indienne, de vivre uniquement avec l'essentiel, quand nous ne savons vivre qu'avec le superflu. Il fait parti de la culture indigène de ne pas gâcher, et de ne prendre à la nature que ce dont l'homme a besoin. Oui, c'est vrai, ils ont cette faculté de vivre simplement que nous avons perdu.
Mais ce n'est pas culturel et ce ne le sera jamais, de vivre sur le bord de la route pendant plus de 30 ans sous des bâches en plastique, ce n'est pas culturel d'être dans le besoin perpétuel, d'avoir des enfants avec le ventre enflé par la malnutrition, de vivre en attendant les "bolsa familia" ou les paniers de produits de première nécessité octroyés par le gouvernement...
Ce n'est pas culturel de vivre en dépendant du blanc.

Désespoir aussi la quantité de suicides, désespoir quand un peuple se laisse mourir ainsi, désespoir l'alcoolisme, désespoir les enfants sans école, désespoir les maladies, désespoir, désespoir, désespoir...

Face à ces drames quotidiens, il y a aussi les sourires, les regards brillants, et les rires d'un peuple qui malgré tous ces assauts continue debout, pas seulement physiquement, mais aussi culturellement, avec une culture qui est plus forte tous les jours. Une langue, un artisanat, des coutumes, des rites religieux, des chants et des danses qui essayent de survivre face à la pression de la culture dominante.

Espoir également, car la nouvelle société alternative dont nous parlent quelques intellectuels occidentaux existe depuis des milliers d'années. Espoir alors face au capitalisme dominant, la soif de profit et d'accumulation permanente. Un autre monde est possible. Et cela ne sert à rien de dire que c'est une vaine utopie, que l'on a déjà montré que le capitalisme était le plus fort, que lui-seul avait la capacité de produire et d'être efficace économiquement.
Maintenant vient la question, pour qui ?
Efficace pour les 10 000 enfants qui meurent de malnutrition tous les jours ? Efficace pour les chômeurs des pays développés ? Efficace pour qui ne peut plus faire autrement que de nourrir ses enfants aux OGM ? Efficace pour les paysans sans terre ? Efficace pour les enfants esclaves qui sont contraints de fabriquer les jouets des enfants du "premier monde" ? Efficace quand dans la plupart des pays du monde les malades riches payent leurs coûteux traitements, tandis que les malades pauvres meurent dans l'indifférence ?
Efficace pour qui, je ne sais pas. Certainement, pas efficace pour les peuples indigènes, les peuples indigènes du monde entier. Car ici comme ailleurs, un barrage hydroélectrique a plus de valeur que la préservation d'un mode de vie, exploiter le pétrole, le gaz ou le bois en Amérique, en Afrique ou en Asie est infiniment plus lucratif que de préserver une façon d'être et de vivre.

Il existe cet espoir d'une possibilité de vivre d'une autre façon, où le profit, l'accumulation de richesse ne soit pas l'unique raison de vivre. Les nouveaux intellectuels, qui parlent de décroissance, de bien-vivre, de frugalité volontaire, souvent d'une façon quelque peu arrogante, n'ont rien inventé. Il y a des peuples qui vivent ainsi depuis des siècles et des siècles. Qui vivent selon le principe "A chacun selon ces besoins", qui retirent de la terre ce dont ils ont besoin, ni plus ni moins, qui savent que les biens matériels, au lieu de libérer enchainent, et surtout qui depuis 500 ans de contact avec un modèle capitaliste, colonialiste et impérialiste conservent une économie alternative de réciprocité et de don, une conception du monde propre, et des traditions qu'ils arrivent à faire vivre dans les villages comme dans les campements au bord de la route.

En voyant cela, chacun se demande, n'aurait-je pas abandonné à leur place ? Abandonné ma façon d'être, pour m'intégrer, pour accéder aux droits élémentaires de chaque citoyen : un toit, une éducation pour mes enfants, un accès à la santé, et au delà de tout cela, le respect de la part de ceux qui ne sont autre que des colons. Et le spectateur est impressionné, n'importe qui s'approchant de cette réalité est stupéfait de voir que ce n'est pas ainsi. Que la dernière chose que ferait les peuples indigènes serait d'abandonner leur langue et leur culture.
Que tant que les peuples indigènes seront vivant, tant que les Guarani, les Kaingang, et tous les autres continueront à nous montrer une alternative, il existe un espoir pour notre humanité, pour notre terre, pour notre modèle social. Tant qu'ils seront vivant, ils nous montre qu'il est possible de vivre d'une autre façon, que dans la consommation compulsive, dans l'apparence et dans la superficialité. Tant qu'ils seront vivants, ils nous montrent qu'il est possible de vivre dans une humanité humaine.

6 commentaires:

  1. c'est tellement touchant ce que tu as écrit Claire!!! J'espère que beaucoup d'oreilles entendront ton message...
    Agathe la soeur de Louise

    RépondreSupprimer
  2. Je suis extrêmement impressionné par la qualité de ton écriture, et de ce que tu exprimes. As-tu écrit ce texte aussi en Portugais ? (je suppose que oui), dans ce cas, chapeau bas.
    En tout ca il mérite tout à fait de paraître dans un journal. Il serait encore plus intéressant de le communiquer aussi en France, n'y a-t-il pas certaines possibilités avec l'IEP ?

    J'admire beaucoup ton cinquième paragraphe, là où tu réussis à établir une relation directe entre la spécificité de ton expérience, et le "système-monde". Et parce qu'elle se rattache à un questionnement un peu tordu qui m'habite parfois : si aujourd'hui nous découvrions l'Amérique, serions nous capables d'éviter ce que nous avons fait ?
    Et bien je dois dire que je doute, et un doute pareil, c'est insupportable.

    RépondreSupprimer
  3. Magnifique texte Claire! Bravo, c'est très touchant car on ressent vraiment les sentiments que tu as eu face à la condition des indiens que tu as rencontré.

    RépondreSupprimer
  4. Merci beaucoup pour ce texte! Il m'a énormément touché...Continue de nous faire découvrir ces "alternatives"!
    bisous, Fanny

    RépondreSupprimer
  5. Oui très beau texte... je sais je suis à la masse je ne le découvre qu'aujourd'hui. En tout cas bravo.
    Agathe, la soeur de louise (héhé, je met ça pour t'embrouiller!)

    RépondreSupprimer

Un petit espace d'expression pour vous ! Merci de laisser votre nom...